Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/161

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— Si la chose a eu lieu ici, c’est donc qu’il avait apporté une bougie avec lui ? Sans cela, je ne vois pas comment…

— Oui… il en avait apporté une. Qu’est-ce qu’il y a là d’invraisemblable ?

— Une bougie entière ou un bout dans un chandelier ?

— Eh bien, oui….. non….. la moitié d’une bougie….. un bout….. une bougie entière, — peu importe, là n’est pas la question….. Il avait aussi apporté des allumettes, si vous voulez le savoir. Il a allumé la bougie et pendant une demi-heure il a tenu son doigt exposé à la flamme ; est-ce que cela ne peut pas être ?

— Je l’ai vu hier ; il n’avait aucune brûlure à la main.

Aglaé s’esclaffa de rire.

— Savez-vous pourquoi je viens de faire ce mensonge ? dit-elle ensuite avec une ingénuité enfantine, tandis qu’une hilarité mal réprimée faisait encore trembler ses lèvres ; — c’est parce que, quand on invente une histoire, si l’on y glisse adroitement un détail tout à fait extraordinaire, tout à fait excentrique, quelque chose qui ne se voit jamais, pour ainsi dire, le mensonge devient beaucoup plus vraisemblable. J’ai remarqué cela. Seulement le moyen ne m’a pas réussi, parce que je n’ai pas su…

Tout à coup la mémoire lui revint et sa gaieté disparut.

— Si l’autre jour je vous ai récité le « chevalier pauvre », poursuivit-elle en regardant le prince d’un air sérieux et même sombre, — c’était sans doute pour faire votre éloge sous un certain rapport, mais je voulais aussi stigmatiser votre conduite et vous montrer que je savais tout…

— Vous êtes fort injuste pour moi… pour la malheureuse au sujet de qui vous vous êtes exprimée tout à l’heure en termes si durs, Aglaé.

C’est parce que je sais tout, que je me suis exprimée ainsi ! Je sais que, il y a six mois, vous lui avez publiquement offert votre main. Ne m’interrompez pas, vous voyez, je constate sans apprécier. Ensuite elle est partie avec Rogojine ; puis vous avez vécu avec elle dans un village ou dans