Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/187

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— C’est Kolia qui vient de me dire cela, et il le tenait de son père qu’il a rencontré dans le vestibule tantôt entre six et sept heures, comme il sortait je ne sais pourquoi…

Et le prince raconta tout en détail.

— Eh bien, voilà, c’est ce qui s’appelle une piste ! reprit Lébédeff qui se frottait les mains en riant d’un petit rire silencieux : — c’est bien ce que je pensais ! Cela signifie que mon général a interrompu à six heures son sommeil de l’innocence, exprès pour aller éveiller son cher fils et l’avertir du danger extraordinaire qu’on court dans la société de monsieur Ferdychtchenko ! Faut-il, après cela, que monsieur Ferdychtchenko soit un homme dangereux ! Et quelle sollicitude paternelle chez Son Excellence, hé, hé, hé !

— Écoutez, Lébédeff, dit le prince troublé au dernier point, — écoutez, agissez sans bruit ! Ne faites pas de tapage ! Je vous en prie, Lébédeff, je vous en conjure… En ce cas, je vous seconderai, je vous en donne ma parole, mais que personne ne sache ; que personne ne sache !

— Soyez sûr, très-bon, très-noble prince, cria avec exaltation Lébédeff, — soyez sûr que tout cela mourra dans mon noble cœur ! Nous agirons à la sourdine, ensemble ! À la sourdine, ensemble ! Tout mon sang même, je le… Excellentissime prince, j’ai l’âme et l’esprit également bas, mais interrogez un coquin et pas seulement un homme bas, demandez-lui à qui il préfère avoir affaire : à un coquin comme lui ou à un homme plein de noblesse comme vous, très-sincère prince, son choix ne sera pas douteux : il répondra qu’il aime mieux avoir affaire à un homme plein de noblesse, et c’est là qu’on peut voir le triomphe de la vertu ! Au revoir, très-estimé prince ! À la sourdine… à la sourdine et… ensemble.