Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/199

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pleura dans son sein, mais pendant ces trois jours aussi il prit le prince en grippe parce que ce dernier le considérait avec trop de compassion, alors qu’en rendant cent mille roubles, il avait fait une chose « dont tout le monde n’aurait pas été capable ». Mais force lui était de s’avouer (et cette conviction le faisait cruellement souffrir) que tout son chagrin venait d’un amour-propre continuellement blessé. Beaucoup plus tard seulement, il comprit qu’avec une créature aussi innocente et aussi étrange qu’Aglaé, son affaire aurait pu prendre une tournure sérieuse. Dévoré de regrets, il renonça à ses occupations et tomba dans une profonde mélancolie.

À présent, Gabriel Ardalionovitch demeurait chez Ptitzine avec son père et sa mère. Il ne cachait pas son mépris pour le parent qui lui donnait l’hospitalité, mais en même temps il écoutait ses conseils et presque toujours il était assez sage pour les solliciter. Par exemple, une chose qui fâchait Gania, c’était de voir que Ptitzine ne se proposait pas d’être un Rothschild. « Puisque tu es un usurier, eh bien, va jusqu’au bout, pressure les gens, fais-leur suer le plus d’argent possible, affirme-toi, deviens le roi des Juifs. » Doux et modeste, Ptitzine se contentait de sourire en entendant ces paroles ; une fois pourtant, il crut devoir s’expliquer sérieusement avec Gania et il apporta même une certaine dignité dans cette explication. Il prouva à son beau-frère qu’il ne faisait rien de malhonnête et que celui-ci avait tort de le traiter de Juif : si l’argent était à tel prix, ce n’était pas sa faute ; il agissait conformément à la justice et à l’honneur ; à vrai dire, dans « ces choses-là », son rôle était plutôt celui d’un simple agent ; enfin, grâce à son exactitude en affaires, il s’était fait connaître fort avantageusement dans la meilleure société et le cercle de ses opérations s’élargissait de jour en jour. « Je ne serai pas un Rothschild et il n’y a pas de raison pour que j’en sois un, ajouta-t-il en riant, — mais j’aurai une maison dans la Litéinaïa, peut-être même deux, et je m’en tiendrai là. » « Qui sait pourtant ?