Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/216

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— Qu’il ne vole pas ! répliqua le jeune homme d’une voix presque étranglée par la colère.

Tout à coup ses yeux rencontrèrent Hippolyte, et il eut comme un tressaillement.

— Quant à vous, monsieur, cria-t-il, — vous auriez dû vous souvenir que vous n’êtes pas chez vous… que vous recevez ici l’hospitalité, et ne pas irriter un vieillard qui évidemment est devenu fou…

Les muscles du visage d’Hippolyte parurent aussi se contracter, mais presque instantanément il se rendit maître de son émotion.

— Je ne suis pas du tout de votre avis en ce qui concerne la prétendue folie de votre papa, répondit-il avec calme ; — au contraire, il me semble que, loin d’avoir subi une diminution, son intelligence s’est plutôt accrue dans ces derniers temps ; vous ne le croyez pas ? Il est devenu si circonspect, si défiant, il scrute tout, il pèse chaque mot… En me parlant de ce Kapitochka, il avait son but ; figurez-vous, il voulait m’amener sur…

— Eh ! que diable ai-je besoin de savoir sur quoi il voulait vous amener ! interrompit d’un ton irrité Gania : — je vous prie de ne pas ruser, de ne pas finasser avec moi, monsieur ! Si vous savez aussi la vraie cause pour laquelle le vieillard se trouve dans un pareil état (depuis cinq jours vous faites ici un métier d’espion, vous le savez très-bien), vous n’auriez pas dû irriter… un malheureux, et désoler ma mère en exagérant le fait, car toute cette affaire ne signifie rien, c’est une histoire d’ivrogne, voilà tout ; elle n’est même prouvée en aucune manière, et je la prends pour ce qu’elle vaut… Mais il faut que vous blessiez et que vous espionniez parce que vous… parce que vous êtes…

— Une vis, acheva en souriant Hippolyte.

— Parce que vous êtes un rien qui vaille ; pendant une demi-heure vous avez joué une honteuse comédie devant les gens, vous avez voulu les effrayer en leur faisant croire que vous alliez vous tuer, et votre pistolet n’était pas chargé !