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IV[1]

L’heure fixée pour le rendez-vous était midi, mais le prince s’attarda hors de chez lui, et, quand il rentra à la maison, il y trouva le général qui l’attendait. À première vue il remarqua que le vieillard était mécontent, — peut-être parce qu’il lui avait fallu attendre. Après s’être excusé, le prince se hâta de s’asseoir, mais il éprouvait une gêne étrange, comme si son visiteur était en porcelaine et qu’il craignit à chaque instant de le casser. Jusqu’alors jamais il n’avait été intimidé en présence du général et même il n’aurait jamais supposé que cela pût arriver. Le prince s’aperçut vite qu’il avait devant lui un tout autre homme que la veille : Ardalion Alexandrovitch n’était plus ni troublé, ni distrait, il semblait se posséder parfaitement et son aspect donnait à penser qu’il avait pris quelque résolution définitive. Ce calme, du reste, était plus apparent que réel. En tout cas, une dignité contenue se joignait chez le visiteur à l’aisance aristocratique des manières ; ce fut même avec une sorte d’indulgence hautaine qu’il accueillit les excuses du prince, il y répondit en termes aimables mais où perçait néanmoins le chagrin d’un homme fier injustement offensé.

— Je vous ai rapporté le volume que vous m’avez prêté l’autre jour, je vous remercie, dit-il en montrant une livraison de revue qu’il venait de déposer sur la table.

— Ah, oui ; vous avez lu cet article, général ? Comment l’avez-vous trouvé ? Il est curieux, n’est-ce pas ? demanda le prince heureux de pouvoir mettre tout d’abord la conversation sur des choses indifférentes.

  1. Les phrases soulignées dans ce chapitre sont en français dans le texte.