Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/266

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— Seulement ? reprit-elle à haute voix et sans rougir le moins du monde : — du reste, cela ne fait rien, surtout si l’on y va avec économie… Vous avez l’intention de servir ?

— Je voulais passer l’examen de précepteur…

— C’est une excellente idée ; sans doute, cela augmentera nos ressources. Vous avez en vue de devenir gentilhomme de la chambre ?

— Gentilhomme de la chambre ? Je n’y ai jamais pensé, mais…

C’en était trop : Adélaïde et Alexandra se tordirent. Depuis longtemps déjà, la première avait remarqué que le visage d’Aglaé se plissait comme quand on lutte contre une envie de rire comprimée à grand’peine. En voyant ses sœurs s’esclaffer, Aglaé voulut prendre un air menaçant, mais son sérieux d’emprunt ne dura pas une seconde, elle-même n’y put tenir et s’abandonna soudain à une hilarité folle, presque hystérique ; à la fin elle se leva d’un bond et s’élança hors de la chambre.

— Je savais bien que ce n’était qu’une plaisanterie et rien de plus ! cria Adélaïde : — il n’y a eu là qu’un jeu depuis le commencement, depuis le hérisson.

— Non, voila, je ne permets pas cela, je ne le permets pas ! proféra avec colère Élisabeth Prokofievna, et elle se précipita aussitôt sur les pas d’Aglaé. Alexandra et Adélaïde s’empressèrent de la suivre. Il ne resta dans la chambre que le prince et le général.

— C’est… c’est… pouvais-tu t’imaginer quelque chose de pareil, Léon Nikolaïtch ? fit brusquement le père de famille qui, à coup sûr, ne se rendait pas bien compte lui-même de ce qu’il voulait dire, — non, sérieusement, sérieusement ?

— Je vois qu’Aglaé Ivanovna s’est moquée de moi, répondit tristement le prince.

— Attends un peu, mon ami ; je vais m’en aller, mais toi, attends une minute… parce que… toi, du moins, Léon Nikolaïtch, explique-moi comment tout cela est arrivé et ce que tout cela signifie, dans son ensemble, pour ainsi dire. Con-