Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/273

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même, pour dire toute la vérité, il ne les avait jamais eues.

Cependant le prince continuait à goûter un bonheur exempt de toute inquiétude. Oh ! sans doute, il surprenait bien parfois dans les regards d’Aglaé un je ne sais quoi de sombre et d’impatient, mais il croyait plutôt à quelque autre chose et n’attachait aucune importance à cela. Une fois convaincu, il ne pouvait plus être ébranlé dans sa conviction. Peut-être avait-il tort d’être si tranquille ; ainsi, du moins, en jugeait Hippolyte, qui, un jour, le rencontra par hasard dans le parc et l’aborda.

— Eh bien, n’avais-je pas raison, dans le temps, de vous dire que vous étiez amoureux ? commença-t-il.

Le prince lui tendit la main et le complimenta sur sa « bonne mine ». Comme il arrive souvent aux poitrinaires, le malade semblait en effet très-gaillard.

Il avait accosté le prince dans l’intention de lui décocher quelque trait piquant à propos de son air heureux, mais, changeant aussitôt d’idée, il se mit à parler de lui, se répandit en récriminations diffuses et passablement décousues.

— Vous ne sauriez vous imaginer, acheva-t-il, — à quel point tous ces gens-là sont irascibles, mesquins, égoïstes, vaniteux, ordinaires ; le croirez-vous ? ils ne m’avaient pris chez eux qu’à condition que je mourrais le plus tôt possible, et voilà qu’à présent ils ne se possèdent plus de colère parce que je ne meurs pas, et qu’au contraire je vais mieux. Comédie ! Je parie que vous ne me croyez pas ?

Le prince s’abstint de répondre.

— Je pense même parfois à me réinstaller chez vous, poursuivit négligemment Hippolyte. — Ainsi vous ne les croyez pas capables d’offrir l’hospitalité à un homme sous la condition expresse qu’il mourra, et cela dans le plus bref délai possible ?

— Je croyais qu’ils avaient d’autres vues en vous invitant à venir demeurer chez eux.

— Eh ! mais vous êtes loin d’être aussi simple qu’on se plaît à le dire ! À présent je n’ai pas le temps, sans cela je