Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/28

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même. Mais voici pourquoi je t’attendais avec une telle impatience : je continue à croire que Dieu lui-même t’a envoyé à moi comme un ami et comme un frère. Je ne vois personne, excepté la vieille Biélokonsky, et elle n’est plus ici ; d’ailleurs, elle est devenue bête comme un mouton par suite de son grand âge. Maintenant réponds-moi simplement par oui ou par non : sais-tu pourquoi elle a fait cet esclandre avant-hier ?

— Je vous donne ma parole d’honneur que je n’ai pris aucune part à cela, et que je ne sais rien !

— Assez, je te crois. Maintenant, moi aussi, j’ai changé d’idée à ce sujet, mais jusqu’à hier matin j’accusais de tout Eugène Pavlitch. À présent, sans doute, je ne puis pas ne pas être de leur avis : il est de toute évidence qu’on l’a rendu victime d’une fumisterie. Pourquoi ? dans quel but ? cela seul reste louche et prête à de vilains soupçons. En tout cas, il n’épousera pas Aglaé, c’est moi qui te le dis ! Qu’il soit un homme comme il faut, c’est possible, mais peu importe. Jusqu’à présent j’étais irrésolue, maintenant mon parti est pris : « Commencez par me mettre dans un cercueil et par m’enterrer, après cela vous marierez votre fille », voilà ce que j’ai déclaré aujourd’hui à Ivan Fédorovitch. Tu vois quelle confiance j’ai en toi, tu le vois ?

— Oui, et je l’apprécie.

Élisabeth Prokofievna attacha sur le prince un regard sondeur : peut-être aurait-elle voulu découvrir l’effet qu’avait produit sur lui la communication relative à Eugène Pavlitch.

— Tu ne sais rien de Gabriel Ivolguine ?

— C’est-à-dire… je sais beaucoup de choses.

— Savais-tu qu’il est en relation avec Aglaé ?

Cette nouvelle causa au prince une profonde stupéfaction, il frissonna même.

— Je l’ignorais complètement, répondit-il ; — comment, vous dites que Gabriel Ardalionovitch est en relation avec Aglaé Ivanovna ? C’est impossible !