Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/283

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À ces mots, Aglaé saisit avec force le bras de son interlocuteur et regardant celui-ci d’un air presque épouvanté :

— Taisez-vous, taisez-vous, taisez-vous, taisez-vous ! interrompit-elle brusquement.

En ce moment, on l’appela. Elle parut heureuse d’avoir un prétexte pour quitter le prince et s’enfuit précipitamment.

Muichkine eut la fièvre toute la nuit. Chose singulière, c’était son état habituel depuis plusieurs nuits consécutives. Cette fois, dans un demi-délire, une idée lui vint : si demain, devant tout le monde, il allait avoir un accès ? M’en avait-il pas déjà eu autrement qu’en songe ? Cette pensée le glaça ; toute la nuit il rêva qu’il était dans une société étonnante, inouïe, au milieu de gens étranges. Le point principal, c’était qu’il « pérorait » ; il savait qu’il ne devait pas parler et il parlait tout le temps ; il s’efforçait de persuader quelque chose aux visiteurs ; parmi ceux-ci se trouvaient Eugène Pavlovitch et Hippolyte, qui paraissaient très-bons amis.

Il s’éveilla à huit heures passées, avec un mal de tête ; le désordre régnait dans ses idées, ses sensations étaient étranges. Il avait un extrême désir de voir Rogojine, de le voir et de causer longuement avec lui, — de quoi, au juste, l’aurait-il entretenu ? lui-même l’ignorait ; ensuite il prit la résolution de se rendre chez Hippolyte. Il y avait dans son cœur un tel trouble que les incidents de cette matinée, tout en produisant sur lui une impression extraordinairement forte, ne purent cependant l’absorber tout entier. Un de ces incidents fut la visite de Lébédeff.

L’employé se présenta d’assez grand matin, un peu après neuf heures ; il était dans un état d’ivresse presque complet. Quoique depuis quelque temps le prince ne fit guère attention à ce qui se passait autour de lui, il n’avait pu s’empêcher de remarquer, tant la chose sautait aux yeux, que, depuis trois jours, c’est-à-dire depuis que le général Ivolguine avait quitté la maison de Lébédeff, ce dernier se conduisait fort mal. Il négligeait maintenant tout soin de sa