Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/289

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c’est après l’affront que je me suis mis dans… cet état.

— Allons, c’est bien, laissez-moi.

Mais il dut renouveler cet ordre à plusieurs reprises avant que le visiteur se décidât à y obtempérer. Après avoir ouvert la porte, Lébédeff revint jusqu’au milieu de la chambre en marchant sur la pointe des pieds ; puis il fit de nouveau appel à une mimique expressive pour montrer comment on ouvre une lettre ; quant à conseiller la chose de vive voix, il n’osa plus s’y risquer ; à la fin il sortit avec un sourire doux et affable.

De tout cet entretien qui avait été très-pénible au prince ressortait un fait capital : Aglaé était fort inquiète, fort irrésolue, quelque chose la tourmentait au plus haut point ( « c’est la jalousie », se disait le prince). Il était clair aussi que des gens malintentionnés l’avaient alarmée, et l’on pouvait s’étonner qu’elle leur eût prêté une oreille si crédule. Sans doute, dans cette petite tête inexpérimentée, mais chaude et fière, avaient mûri certains plans peut-être funestes et… ne ressemblant à rien. Le prince était épouvanté et, dans son émoi, ne savait à quoi se résoudre. Il fallait nécessairement prendre un parti, il le sentait. Il considéra encore une fois l’adresse du pli cacheté : oh, là n’était pas la cause de ses hésitations et de ses craintes, car il croyait ; autre chose l’inquiétait dans cette lettre : il n’avait pas confiance en Gabriel Ardalionovitch. Et pourtant il résolut de lui remettre cette lettre lui-même, personnellement ; il sortit de chez lui dans cette intention, mais en chemin il changea d’idée. Comme par un fait exprès, au moment où le prince allait arriver à la maison de Ptitzine, le hasard voulut qu’il rencontrât Kolia ; il le pria de remettre la lettre à son frère, comme si elle lui avait été confiée par Aglaé Ivanovna en personne. Kolia ne demanda aucun éclaircissement et fit la commission, en sorte que Gania ne se douta point que la lettre avait passé par tant de mains avant d’arriver dans les siennes. De retour chez lui, le prince appela Viéra Loukianovna, et lui raconta ce qu’il crut nécessaire pour la consoler,