Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/316

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Laissez-le dire[1], observa à demi-voix le haut fonctionnaire, — il est tout tremblant.

Le prince était hors de lui.

— Eh bien, j’ai vu des gens exquis, naïfs, intelligents ; j’ai vu un vieillard combler d’amabilités et écouter jusqu’au bout un gamin comme moi ; je vois des hommes capables de comprendre et de pardonner, de vrais Russes, des hommes bons, presque aussi bons et aussi affectueux que ceux que j’ai rencontrés là-bas, oui, ils ne valent guère moins. Jugez donc combien j’ai été agréablement surpris ! Oh, permettez-moi de l’avouer ! J’avais souvent entendu dire et je croyais moi-même que, dans le monde, tout se réduisait à de beaux semblants, que sous la politesse des formes se déguisait un fond indigent et stérile, mais je vois maintenant moi-même qu’il ne peut en être ainsi chez nous ; cela peut être vrai ailleurs, mais pas chez nous. Est-il possible que tous, en ce moment, vous soyez des jésuites et des fourbes ? J’ai entendu tantôt le récit du prince N… : est-ce que ce n’est pas de l’humour spontané, prime-sautier ? Est-ce que ce n’est pas de la naïveté vraie ? Est-ce que de telles paroles peuvent sortir de la bouche d’un homme… mort, desséché d’esprit et de cœur ? Est-ce que des cadavres auraient pu me traiter comme vous m’avez traité ? Est-ce qu’il n’y a pas là des matériaux… pour l’avenir, des motifs d’espérance ? Est-ce que de pareilles gens peuvent ne pas comprendre et se laisser distancer ?

— Encore une fois, je vous en prie, calmez-vous, mon cher, nous causerons de tout cela un autre jour, et ce sera avec plaisir que je… dit en souriant le vieillard.

Ivan Pétrovitch s’agita impatiemment sur son fauteuil ; Ivan Fédorovitch était comme sur des épines ; son supérieur ne faisait aucune attention au prince et s’entretenait avec la femme du haut fonctionnaire, mais cette dame regardait souvent le jeune homme, et prêtait l’oreille à ses paroles.

  1. Les mots soulignés sont en français dans le texte.