TROISIÈME PARTIE
I
Les Épantchine ou, du moins, les plus réfléchis d’entre eux étaient désolés de ne point ressembler au reste de la société. Sans pleinement se rendre compte du fait, ils ne laissaient pas de soupçonner parfois que chez eux les choses n’allaient pas comme ailleurs. Tout le monde menait une existence paisible et uniforme, — la leur était continuellement cahotée ; tout le monde roulait sur les rails, — eux déraillaient à chaque instant. Dans toutes les maisons régnait la timidité voulue par les bienséances, — chez eux, on ne connaissait pas cela. Peut-être, à la vérité, Élisabeth Prokofievna était-elle la seule à se faire ces observations chagrines : les demoiselles, qui ne manquaient pas, d’ailleurs, de pénétration ni de causticité, étaient encore jeunes ; le général avait l’esprit assez perspicace, bien que peu délié, mais, dans les cas embarrassants, il se contentait de dire : hum ! et, au demeurant, se reposait de tout sur sa femme. Par conséquent, à elle aussi incombait la responsabilité. Et ce n’était pas que ces gens-là se distinguassent par quelque initiative particulière, ni que leurs déraillements eussent pour cause une tendance consciente à l’originalité, ce qui aurait été fort inconvenant. Oh ! non, il n’y avait ici rien de prémédité ; mais, au bout du