Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/330

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je ne sais pas, j’ai rêvé cette nuit que quelqu’un m’étouffait avec un torchon mouillé… un homme… allons, je vous dirai qui : figurez-vous que mon assassin était Rogojine ! Qu’en pensez-vous ? Est-ce qu’on peut étouffer quelqu’un avec un torchon mouillé ?

— Je n’en sais rien.

— J’ai entendu dire qu’on le peut. Bien, laissons cela. Voyons, pourquoi donc suis-je un cancanier ? Pourquoi m’a-t-elle traité de cancanier aujourd’hui ? Et notez qu’elle m’a appelé ainsi après avoir attentivement écouté d’un bout à l’autre tout ce que je lui ai dit, bien plus, après m’avoir elle-même questionné… Mais voilà comme sont les femmes ! Pour elle je suis entré en relation avec Rogojine, cet homme intéressant ; pour lui complaire, je lui ai ménagé une entrevue personnelle avec Nastasia Philippovna. Ne serait-ce point parce que j’ai froissé son amour-propre en lui faisant observer qu’elle se contentait des « restes » de Nastasia Philippovna ? Dans son intérêt, je n’ai jamais cessé, je l’avoue, de lui présenter ainsi la chose ; je lui ai écrit deux lettres dans ce sens, et aujourd’hui, dans l’entrevue que j’ai eue avec elle, je lui ai encore parlé de même… Tantôt j’ai commencé par lui dire que c’était humiliant pour elle… D’ailleurs, ce mot de « restes » n’est pas de moi ; je me suis borné à le répéter ; chez Ganetchka, du moins, tout le monde se servait de cette expression ; elle-même l’a reconnu. Eh bien, alors, pourquoi suis-je, à ses yeux, un cancanier ? Je le vois, je le vois : vous me trouvez fort drôle en ce moment, et je parie que vous m’appliquez les vers stupides :

 
« Au triste coucher de mon astre
L’amour peut-être sourira. »


Ha, ha, ha !

Hippolyte eut un rire nerveux auquel succéda une toux violente.

— Et notez que Ganetchka a vraiment bonne grâce à parler de « restes », poursuivit-il d’une voix qui avait peine