Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/381

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Rogojine l’avait ramenée la veille. Le prince prit une voiture. En chemin, il se dit qu’il aurait dû commencer par là, attendu qu’il était invraisemblable que la jeune femme se fût rendue de nuit chez Rogojine. Les paroles du dvornik concernant la rareté des visites de Nastasia Philippovna lui revinrent aussi à la mémoire. Si déjà auparavant elle ne voyait Rogojine que de loin en loin, pourquoi maintenant serait-elle allée loger chez lui ? Mais vainement le prince cherchait à se tranquilliser par des considérations de ce genre, il était dans des transes mortelles quand il arriva enfin à Izmaïlovsky Polk.

À l’extrême stupéfaction du visiteur, non-seulement l’outchitelcha[1] était depuis deux jours sans nouvelles de Nastasia Philippovna, mais, lorsque lui-même se présenta, son apparition dans la maison fit à tout le monde l’effet d’un événement miraculeux. À la suite de leur mère, les nombreux enfants de l’outchitelcha, — neuf fillettes, dont l’aînée avait quinze ans et la plus jeune sept, — se répandirent dans l’antichambre, entourèrent le prince et se mirent à le contempler bouche béante. Après les enfants arriva leur tante, une femme maigre, jaune, coiffée d’un mouchoir noir ; puis se montra la grand’mère, une vieille qui portait des lunettes. La maîtresse de la maison invita instamment le prince à entrer et à prendre quelque chose, il y consentit. Toutes ces personnes, — Muichkine le devina aussitôt, — savaient très-bien qui il était : n’ignorant pas qu’il avait dû se marier la veille, elles mouraient d’envie de le questionner sur son mariage, et d’apprendre par quel prodigieux hasard il venait leur demander des nouvelles de Nastasia Philippovna, qui, en ce moment, aurait dû être avec lui à Pavlovsk ; seulement, par délicatesse, elles gardaient le silence. Pour satisfaire leur curiosité, le prince raconta en gros ce qui s’était passé. Ce furent alors des exclamations d’étonnement, des « ah ! », des « oh ! », si bien qu’il se vit obligé d’entrer dans de nouveaux détails ;

  1. Femme ou veuve d’un professeur.