Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/41

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oreille fort attentive aux propos d’Eugène Pavlovitch. Rarement ce dernier avait paru plus content et plus en train que ce soir-là. Le prince l’écoutait et pendant longtemps il ne comprit presque rien à ses paroles. À l’exception d’Ivan Fédorovitch qui n’était pas encore revenu de Pétersbourg, toute la famille Épantchine se trouvait là ; le prince Chtch… y était aussi. On s’était réuni sans doute pour aller entendre la musique avant le thé. Bientôt Kolia se montra sur la terrasse. « Ainsi on continue à le recevoir ici », pensa à part soi le prince.

L’habitation des Épantchine était une belle villa qui avait l’aspect d’un chalet suisse. De tous côtés on apercevait des fleurs et de la verdure. Un jardin, petit mais très-bien tenu, entourait la maison. Comme chez le prince, toute la société était assise sur la terrasse, seulement celle-ci était un peu plus grande et offrait un plus joli coup d’œil.

Au moment où arriva Muichkine, la conversation roulait sur un sujet qui semblait déplaire à plusieurs. On pouvait deviner qu’une discussion assez vive venait d’avoir lieu. Tout le monde aurait préféré parler d’autre chose, mais Eugène Pavlovitch allait toujours son train sans remarquer l’impression produite par son langage. On le vit s’animer encore plus lorsque le prince eut fait son apparition. Élisabeth Prokofievna fronçait le sourcil, quoiqu’elle ne comprît pas tout. Aglaé, assise un peu à l’écart, ne se retira pas ; la jeune fille écoutait et se renfermait dans un silence obstiné.

— Permettez, répliquait avec feu Radomsky, — je ne dis rien contre le libéralisme. Le libéralisme n’est pas un mal, il fait partie intégrante d’un tout qui, sans lui, se dissoudrait, il a le droit d’exister tout aussi bien que le conservatisme le plus moral. Mais j’attaque le libéralisme russe et je répète que, si je l’attaque, c’est parce que le libéral russe n’est pas un libéral russe. Montrez-moi un libéral russe, et je l’embrasserai tout de suite devant vous.

— Si toutefois il consent à vous embrasser, dit Alexandra