Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/71

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Sur la terrasse descendit enfin Ivan Fédorovitch lui-même qui avait quitté l’appartement de sa femme pour aller quelque part ; il avait l’air sombre, soucieux et résolu.

— Ah ! Léon Nikolaïtch, tu… Où vas-tu maintenant ? demanda-t-il, bien que Léon Nikolaïévitch ne pensât même pas à bouger de place : — viens avec moi, j’ai un petit mot à te dire.

— Au revoir, fit Aglaé et elle tendit la main au prince. L’obscurité qui régnait sur la terrasse ne permit pas à ce dernier de bien voir, dans cet instant, le visage de la jeune fille. Au bout d’une minute, lorsque déjà il était sorti de la maison avec le général, il rougit tout à coup et serra fortement le poing.

Ce n’était pas au prince qu’Ivan Fédorovitch avait affaire ; malgré l’heure avancée, il avait hâte de voir quelqu’un pour l’entretenir de quelque chose. Mais, ayant rencontré sur ces entrefaites Léon Nikolaïévitch, il se mit à lui parler avec beaucoup de volubilité et passablement d’incohérence ; dans ses propos revenait souvent le nom d’Élisabeth Prokofievna. Si le prince avait pu être plus attentif en ce moment, il se serait peut-être douté qu’Ivan Fédorovitch avait envie de le sonder, ou, pour mieux dire, de le questionner franchement et sans détours, mais qu’il ne pouvait jamais aborder le point principal. Malheureusement, Muichkine était si distrait que d’abord il n’entendit même pas les paroles du général, et, quand celui-ci, s’arrêtant en face de son interlocuteur, lui posa une question brûlante, le prince fut forcé d’avouer qu’il ne comprenait rien.

Ivan Fédorovitch haussa les épaules.

— Vous êtes tous devenus des gens étranges, reprit-il. — Je te dis que je ne comprends nullement les idées et les frayeurs d’Élisabeth Prokofievna. Elle a des attaques de nerfs, elle pleure, elle dit qu’on nous a conspués, déshonorés. Qui ? Comment ? Avec qui ? Quand, et pourquoi ? J’avoue que j’ai eu des torts, je m’en reconnais beaucoup ; mais enfin, la police peut couper court aux persécutions de cette…