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— Ah ! prince, sur quelle herbe avez-vous donc marché aujourd’hui ? Je ne vous reconnais pas, positivement. Est-ce que je pouvais vous supposer complice d’une pareille chose ?… Allons, vous n’êtes pas dans votre assiette aujourd’hui.

Il embrassa Muichkine.

— Complice d’une « pareille » chose ! que voulez-vous dire ? Je ne vois pas là une « pareille » chose.

— Sans doute cette personne a voulu nuire à Eugène Pavlitch en lui prêtant devant témoins des qualités qu’il n’a pas et qu’il ne peut pas avoir, répondit assez sèchement le prince Chtch…

Le prince Léon Nikolaïévitch se troubla ; toutefois il n’en continua pas moins à regarder fixement son interlocuteur, comme pour lui demander l’explication de ces paroles ; mais le prince Chtch… se tut.

— Alors il ne s’agit pas simplement de lettres de change ? Ce n’est pas littéralement ce qui a été dit hier ? murmura enfin Muichkine, pris d’une certaine impatience.

— Mais, je vous le répète, jugez vous-même, qu’est-ce qu’Eugène Pavlitch peut avoir de commun avec… elle, et, par-dessus le marché, avec Rogojine ? Encore une fois, il est extrêmement riche, je connais fort bien sa fortune ; de plus, il a en perspective l’héritage de son oncle. Nastasia Philippovna a tout simplement…

Le visiteur s’interrompit soudain : évidemment il ne voulait pas s’entretenir de Nastasia Philippovna avec le prince Léon Nikolaïévitch.

— En tout cas, cela prouve qu’elle le connaît, fit celui-ci après une minute de silence.

— Ils ont pu se connaître autrefois ; Eugène Pavlitch est un homme léger ! Mais, s’ils se sont connus, c’est fort ancien, cela doit remonter à deux ou trois ans ; à cette époque-là il voyait Totzky. Pas plus maintenant qu’alors, il ne peut s’être trouvé avec elle dans des relations de nature à autoriser le tutoiement. Vous savez vous-même qu’elle n’était pas ici ; elle avait disparu. Beaucoup de gens ignorent encore