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Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/80

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tolet, la contemplerait. Il ne lui en fallait pas davantage. Une ou deux fois aussi il se demanda ce qu’elle avait l’intention de lui communiquer et quelle était cette affaire si importante qui le concernait directement. Pas un instant il n’eut le moindre doute sur l’existence réelle de cette « importante affaire », mais il y pensait à peine et n’éprouvait même pas le besoin d’y penser.

Le bruit de pas légers sur le sable lui fit lever la tête. Un homme dont il était difficile de distinguer les traits dans l’obscurité vint s’asseoir sur son banc. Le prince se rapprocha brusquement de lui et reconnut le visage pâle de Parfène Séménitch.

— Je savais bien que tu flânais ici quelque part, je ne t’ai pas cherché longtemps, murmura entre ses dents Rogojine.

C’était la première fois qu’ils se retrouvaient en tête-à-tête depuis leur rencontre dans le corridor du traktir. Surpris par cette apparition imprévue, le prince fut quelque temps sans pouvoir recueillir ses idées et une sensation cruelle se réveilla dans son cœur. Rogojine devina évidemment l’impression que produisait sa présence ; quoique d’abord déconcerté, il parla cependant avec un air d’aisance qui, dans le premier moment, parut factice au prince. Bientôt toutefois ce dernier s’aperçut qu’il n’en était rien, et que Rogojine n’éprouvait même, à proprement parler, aucun embarras : s’il y avait quelque gêne dans ses gestes et dans sa parole, c’était purement superficiel ; au fond, cet homme ne pouvait pas changer.

— Comment m’as-tu… découvert ici ? demanda le prince, pour dire quelque chose.

— J’ai été mis sur la voie par Keller (je suis passé chez toi), il m’a dit que tu te promenais dans le parc ; allons, pensai-je, c’est bien cela.

Ces derniers mots inquiétèrent le prince.

— Que veux-tu dire ? fit-il d’une voix alarmée. Rogojine rougit, mais ne donna aucune explication.

— J’ai reçu ta lettre, Léon Nikolaïtch ; tout cela est inu-