Page:Dostoïevski - Le Double, 1919.djvu/62

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j’étais chez moi, je prendrais une tasse de thé… j’aimerais à prendre du thé en ce moment… Si je rentre plus tard, Pétrouchka grognera. Ne vaut-il pas mieux rentrer à la maison ? Que le diable emporte tout. Je m’en vais… voilà. »

S’étant ainsi résolu, M. Goliadkine s’avance rapidement, comme mû par un ressort. En deux bonds il est dans le buffet, quitte son manteau, ôte son chapeau, les jette hâtivement dans un coin, se rajuste, entre dans la salle à manger. De là il se glisse dans l’autre salon et passe presque inaperçu au milieu des joueurs qu’excite déjà le jeu. Alors… Alors… M. Goliadkine oublie tout ce qui vient de se passer et, d’un trait, tombe comme une bombe dans la salle de danse.

C’était un fait exprès : on ne dansait pas. Les dames se promenaient dans le salon par groupes pittoresques ; les messieurs étaient rassemblés ou glissaient au milieu de la pièce pour inviter les dames. M. Goliadkine ne voit rien. Il ne voit que Clara Olsoufievna. Près d’elle André Philippovitch, puis Vladimir Séméonovitch, deux ou trois officiers, deux ou trois jeunes gens assez intéressants pour donner encore des espérances, pour en avoir peut-être déjà réalisé… Ici, là, il voit quelqu’un encore… non il ne voit pas, il ne regarde personne… Mais la même impulsion le mène, qui le poussa dans ce bal où il n’était pas invité. Il s’avance.