Page:Dostoïevski - Le Double, 1919.djvu/77

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dation ? On dirait que l’eau monte très vite. » A peine avait-il formulé cette pensée qu’il aperçut devant lui un passant probablement attardé qui venait à sa rencontre. Quoi de plus simple ? un hasard. Pourquoi M. Goliadkine fut-il ému, et même eut peur et se troubla ? Ce n’est pas qu’il craignît une mauvaise rencontre. « Mais peut-être… qui sait… peut-être… pensa-t-il, ce passant est-il la destinée… peut-être n’est-ce point par hasard qu’il passe ici ; mais pour un certain but traverse-t-il mon chemin et me rencontre-t-il. »

Peut-être M. Goliadkine n’eut-il pas avec précision la pensée de ces choses, mais il en eut la sensation fugitive et très désagréable. D’ailleurs il eut peu de temps pour penser et sentir. Le passant était déjà à deux pas de lui. M. Goliadkine aussitôt affecta, selon son habitude, un air bien particulier, un air qui signifiait nettement que lui, M. Goliadkine, suivait son chemin, que la rue était assez large pour tous, et que lui, Goliadkine, ne s’occupait de personne. Tout à coup il s’arrêta comme étourdi, comme s’il avait été frappé de la foudre ; puis il se retourna brusquement derrière le passant qui venait de le dépasser. Il se retourna comme si une ficelle l’eût tiré, comme une girouette que tourne le vent. Le passant disparaissait rapidement dans la tourmente de neige. Lui aussi marchait vite. Comme M. Goliadkine il était