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le joueur


XIII


Voilà un mois que je n’ai pas touché à ces notes.

La catastrophe dont je pressentais alors l’approche a été plus prompte encore que je n’avais pensé. Tout cela a été passablement tragique, du moins pour moi. Je ne puis encore comprendre ce qui m’est arrivé. C’est comme un rêve ; ma passion même a passé ; elle était pourtant forte et réelle. Où est-elle maintenant ?… Me voilà seul, tout seul. L’automne commence, les feuilles jaunissent. J’habite toujours la même petite ville, triste. (Oh ! qu’elles sont tristes, ces villes allemandes !) Au lieu de réfléchir à ce qu’il convient que je fasse, je vis sous l’influence des événements accomplis, pris encore dans le récent tourbillon qui m’a rejeté loin de mon centre naturel… D’ailleurs, peut-être arriverai-je à voir clair dans l’avenir, si je parviens à me rendre compte de ma vie durant tout ce mois passé. La démangeaison d’écrire me reprend. Et pourtant je prends à la pauvre petite bibliothèque de l’endroit les volumes de Paul de Kock (dans la traduction allemande !) que je déteste, mais que je lis : pourquoi donc ? Est-ce pour conserver le souvenir du cauchemar qui vient de finir, que je fuis toute occupation sérieuse ? M’est-il donc si cher ? Eh ! certes ! dans quarante ans j’y songerai encore…

Je reprends donc mes notes.

Finissons-en d’abord avec la babouschka.

Le lendemain, elle perdit, d’après le compte de Potapitch, quatre-vingt-dix mille roubles. Cela ne pouvait manquer d’arriver. Quand un pareil tempérament s’engage dans une telle voie, il n’en peut plus sortir ; c’est un traîneau lancé sur une pente de glace : toujours plus