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le joueur

— Merci, mon petit père, pour ton obligeance désintéressée, me dit-elle. Répète à Praskovia ce que je lui ai dit hier. Je l’attends à Moscou.

Je repris le chemin de l’hôtel. En passant devant l’appartement du général, je rencontrai la bonne, qui me dit tristement qu’il n’y avait rien de nouveau.

J’entrai pourtant. Mais, à la porte du cabinet, je m’arrêtai stupéfait. Mlle Blanche et le général riaient à gorge déployée, à qui des deux rirait le plus fort. La dame Comminges était là, elle aussi. Le général était évidemment fou de joie ; il bredouillait des paroles incohérentes. Je sus par la suite, et de Mlle Blanche elle-même, qu’après avoir chassé le prince, elle avait appris le désespoir du général et qu’elle était allée un moment chez lui « pour le consoler ». Mais le pauvre homme ignorait que son sort n’en était pas moins décidé, que, pendant qu’il riait ainsi à se tordre, on faisait les malles de Blanche, et qu’elle devait le lendemain, par le premier train, prendre son vol vers Paris.

Après être resté quelques minutes sur le seuil du cabinet, je renonçai à entrer et je m’esquivai sans être vu. Je remontai chez moi. En ouvrant la porte, j’entrevis dans la demi-obscurité de la chambre la silhouette indécise d’une femme assise sur une chaise, dans un coin, près de la fenêtre. Elle ne se leva pas à mon entrée ; je m’approchai vivement, je regardai… La respiration me manqua.


XIV


Je poussai un cri.

— Mais quoi ? mais quoi ? dit-elle d’un air étrange.

Elle était pâle et morne.

— Comment ! mais quoi ? Vous ! Ici ! Chez moi !