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le joueur

— Attends. Je te donne cinquante mille francs, soit ; mais alors que me restera-t-il ?

— Cent cinquante mille ! De plus, je reste avec toi, un mois, deux mois, je ne sais combien de mois !… Nous dépenserons pendant ces deux mois les cent cinquante mille francs, cela va sans dire. Tu vois, je suis bon enfant, et, je t’avertis d’avance, tu verras des étoiles !

— Comment ! nous dépenserons tout en deux mois ?

— Ça t’effraye. Ah ! vil esclave ! ne sais-tu donc pas qu’un mois de cette vie vaut mieux que toute ton existence ? Un mois ; et après, le déluge !… Mais tu ne peux comprendre. Va-t’en ! Tu ne vaux pas ce que je t’offre… Aïe ! que fais-tu ?

Je chaussais son second pied et, ne pouvant plus y tenir, je l’embrassais. Elle le retira prestement et m’en donna un coup en pleine figure. Là-dessus, elle me mit à la porte.

— Eh bien ! mon outchitel, je t’attends si tu veux. Dans un quart d’heure je pars, me cria-t-elle comme je m’en allais.

En rentrant chez moi, je me sentais comme étourdi. Était-ce ma faute si Paulina m’avait jeté mes billets de banque à la figure et m’avait préféré M. Astley ? Quelques-uns des billets traînaient encore à terre. Je les ramassai.

À ce moment, la porte s’ouvrit et le majordome lui-même apparut. Naguère, il ne me faisait pas même l’honneur d’un salut. Maintenant, il venait m’offrir l’appartement que le comte V… avait occupé et venait de quitter.

Je réfléchis quelques instants.

— Ma note ! m’écriai-je tout à coup. Je pars dans dix minutes.

« À Paris ? Soit, à Paris ! pensai-je. C’est probablement ma destinée. »

Un quart d’heure après, nous étions tous trois dans un wagon de famille, Blanche, la veuve Comminges et moi. Blanche riait aux éclats en me regardant. La veuve Com-