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le joueur

Sais-tu ? tu méprises tout de même trop l’argent. Que feras-tu ensuite, hein ?

— Après ? J’irai à Hombourg, et je gagnerai encore cent mille francs.

— Oui, oui, c’est ça, c’est magnifique. Je suis convaincue que tu les gagneras… et que tu les apporteras ici !… Dis donc, mais je finirai par t’aimer pour tout de bon ! Puisque tu es ainsi, je t’aimerai et je te promets de ne pas te faire une seule infidélité. Vois-tu, je ne t’aimais pas jusqu’à présent, parce que je croyais que tu n’étais qu’un outchitel, quelque chose comme un laquais, n’est-ce pas ? Et, pourtant, je t’ai toujours été fidèle parce que je suis bonne fille.

— Tu mens ! et Albert, ce petit officier basané ?… je l’ai bien vu.

— Oh ! oh ! mais tu es…

— Allons ! allons ! ne mens pas. Crois-tu donc que je me fâche pour si peu ? Je m’en moque. Je ne pouvais pas le chasser ; tu le connaissais avant que nous nous fussions vus, et tu l’aimes. Seulement, ne lui donne pas d’argent, entends-tu ?

— Alors, tu ne te fâches pas pour cela non plus ? Mais tu es un vrai philosophe, sais-tu, un vrai philosophe ! s’écria-t-elle toute transportée. Eh bien ! je t’aimerai, je t’aimerai, tu verras, tu seras content…

Et, en effet, de ce moment elle s’attacha véritablement à moi, amoureusement, et ainsi se passèrent nos dix derniers jours.

Je ne m’étendrai pas là-dessus. Ce serait tout un autre roman, que je ne veux pas écrire ici.

Je ne songeais plus qu’à en finir le plus vite possible. Nos cent mille francs durèrent donc un mois, ce qui ne laissa pas que de m’étonner, car, Blanche en ayant dépensé quatre-vingt mille pour elle-même, il n’en restait que vingt mille pour la vie. Blanche, qui, vers la fin, était presque sincère avec moi, — du moins sur certaines