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le joueur

yeux des gens, millionnaires au moins durant toute une semaine.

Je voulus d’abord prendre Nicha et Nadia pour me promener avec eux. Mais de l’escalier on m’appela chez le général : il désirait savoir où je les menais. Décidément, cet homme ne peut me regarder en face. Il s’y efforce ; mais chaque fois je lui réponds par un regard si fixe, si calme qu’il perd aussitôt contenance. En un discours très pompeux, par phrases étagées solennellement, il m’expliqua que je devais me promener avec les enfants dans le parc. Enfin, il se fâcha tout à coup, et ajouta avec roideur :

— Car vous pourriez bien, si je vous laissais faire, les mener à la gare, à la roulette. Vous en êtes bien capable, vous avez la tête légère. Quoique je ne sois pas votre mentor, — et c’est un rôle que je n’ambitionne point, — j’ai le droit de désirer que… en un mot… que vous ne me compromettiez pas…

— Mais pour perdre de l’argent il faut en avoir, répondis-je tranquillement, et je n’en ai point.

— Vous allez en avoir, dit-il un peu confus.

Il ouvrit son bureau, chercha dans son livre de comptes et constata qu’il me devait encore cent vingt roubles.

— Comment faire ce compte ? Il faut l’établir en thalers… Eh bien, voici cent thalers en somme ronde ; le reste ne sera pas perdu.

Je pris l’argent en silence.

— Ne vous offensez pas de ce que je vous ai dit. Vous êtes si susceptible !… Si je vous ai fait cette observation, c’est… pour ainsi dire… pour vous prévenir, et j’en ai bien le droit…

En rentrant, avant le dîner, je rencontrai toute une cavalcade.

Les nôtres allaient visiter quelques ruines célèbres dans les environs : Mlle  Blanche dans une belle voiture avec Maria Felipovna et Paulina ; le petit Français,