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les nuits blanches

chaient paresseusement, les guides dans leurs deux mains, auprès de leurs charrettes chargées de montagnes de meubles, tables, chaises, divans turcs et pas turcs, ustensiles de ménage, le tout terminé assez souvent par une cuisinière qui, assise au sommet du tas, couvait les biens de ses maîtres ; regardais-je glisser sur la Neva des bateaux eux aussi chargés de meubles, charrettes et bateaux se multipliaient à mes yeux ; il me semblait que toute la ville s’en allait, que tout déménageait par caravanes, que la ville allait être déserte. J’en étais attristé, offensé. Car moi, je ne pouvais aller à la campagne ! J’étais pourtant prêt à partir avec chaque charrette, avec chaque monsieur un peu cossu qui louait une voiture. Mais pas un, pas un seul ne m’invitait. On eût dit que tous m’oubliaient, comme si j’étais pour eux un étranger !

Je marchais beaucoup, longtemps, de sorte que je finissais par ne plus savoir où j’étais, quand j’aperçus les fortifications. Immédiatement je me sentis joyeux. Je m’engageai à travers les champs et les prairies ; je n’éprouvais aucune fatigue. Il me semblait même qu’un lourd fardeau tombait de mon âme. Tous les gens en carrosses me regardaient avec tant de sympathie qu’un peu plus ils m’auraient salué. Tous étaient contents, je ne sais pourquoi ; tous fumaient de beaux cigares. Moi j’étais heureux. Je me croyais tout à coup transporté en Italie, tant la nature m’étonnait, pauvre citadin à demi malade, à demi mort de l’atmosphère empoisonnée de la ville.

Il y a quelque chose d’ineffablement touchant dans notre campagne pétersbourgeoise, quand, au printemps, elle déploie soudain toute sa force, s’épanouit, se pare, s’enguirlande de fleurs. Elle me fait songer à ces jeunes filles languissantes, anémiées, qui n’excitent que la pitié, parfois l’indifférence, et brusquement, du jour au lendemain, deviennent inexprimablement merveilleuses de beauté : vous demeurez stupéfaits devant elles, vous demandant quelle puissance a mis ce feu inattendu dans ces yeux tristes