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les nuits blanches

blera et viendra la vieillesse accroupie sur son manche à balai ; ton monde fantastique pâlira… Novembre… Décembre… Plus de feuilles à tes arbres… Ô Nastenka, ce sera triste de vieillir sans avoir vécu : n’avoir pas même de regrets ! Car je n’ai rien à perdre ; toute ma vie n’est qu’un zéro rond, un rêve…

— Ne me faites donc pas pleurer ! dit Nastenka en essuyant ses yeux. C’est fini maintenant ? Écoutez, je suis une jeune fille simple, très peu savante, quoique ma babouschka m’ait donné des maîtres ; pourtant, je vous assure que je vous comprends. Dites-vous que je serai toujours auprès de vous. J’ai eu, non pas tout à fait la même chose, mais des chagrins presque semblables aux vôtres quand ma babouschka m’a épinglée à sa robe. Certes je ne pourrais compter aussi bien que vous. Je n’ai pas assez étudié, ajoute-t-elle (évidemment mon discours pathétique, mon grand style lui avait inspiré du respect), mais je suis très contente que vous vous soyez confié à moi ; je vous connais maintenant, et moi, vous allez aussi me connaître ; moi aussi je vais tout vous dire : vous êtes un homme très intelligent, vous me donnerez un conseil.

— Ah ! Nastenka ! répondis-je, je ne suis pas bon conseiller ; mais il me semble que nous pourrions l’un à l’autre nous donner des conseils infiniment spirituels. Allons ! quels conseils voulez-vous ? Me voilà gai, heureux, et je n’aurai pas besoin d’emprunter mes paroles.

— Je m’en doute, dit Nastenka en riant : mais il ne me faut pas un conseil seulement spirituel ; il me le faut aussi cordial, comme d’un ami de cent ans.

— C’est entendu, Nastenka ! m’écriai-je tout transporté. Parole, je vous aimerais depuis mille ans que je ne vous aimerais pas davantage !

— Votre main ? dit Nastenka.

— La vôtre !