Page:Dostoïevski - Le Joueur - Les Nuits Blanches, trad. Kaminski, ed. Plon, 1925.djvu/182

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mauvais. Elle ne me répondit pas tout de suite, puis enfin :

— S’il pleut, nous ne nous verrons pas, dit-elle, je ne viendrai pas.

J’espérais encore qu’elle ne s’apercevrait pas de la pluie, et pourtant elle n’est tout de même pas venue.

C’était notre troisième rendez-vous, notre troisième nuit blanche…

Dites !… comme le bonheur fait l’homme excellent ! Il semble qu’on voudrait donner de son cœur, de sa gaîté, de sa joie. Et c’est contagieux, la joie. Hier, dans ses paroles, il y avait tant de bonté pour moi ! Et quelle coquetterie le bonheur inspire aux femmes ! Et moi… sot ! Je pensais qu’elle… Enfin j’ai pris tout cela pour de l’argent comptant.

Mais, mon Dieu, comment donc ai-je pu être si sot, si aveugle ? Tout était déjà pris par un autre ; rien pour moi. Ces tendresses, ces soins, cet amour… Oui, son amour pour moi, ce n’était que la joie d’une entrevue prochaine avec un autre ; c’était aussi le désir d’essayer sur moi son bonheur… et quand l’heure a sonné sans qu’il fût là, comme elle est devenue morne, comme elle a perdu courage ! Tous ses mouvements, toutes ses paroles étaient désolées, et cependant elle redoublait d’attentions pour moi, comme pour me demander de la tromper doucement, de la persuader que la réalité était fausse ; enfin, elle se découragea tout juste au moment où je m’imaginais qu’elle avait compris mon amour, qu’elle avait pitié de mon pauvre amour. N’est-ce pas ainsi quand nous sommes malheureux ? Ne sentons-nous pas plus profondément la douleur des autres ?…

Et je venais aujourd’hui, le cœur plein, attendant impatiemment le moment du rendez-vous ; je ne pressentais point ce que je sens maintenant et que tout finirait ainsi. Elle était rayonnante de joie, elle attendait une réponse. La réponse, c’était lui-même. Nul doute qu’il