Page:Dostoïevski - Le Joueur - Les Nuits Blanches, trad. Kaminski, ed. Plon, 1925.djvu/189

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quelque chose dans ma lettre, dans cette malheureuse lettre ?…

Les sanglots interrompirent sa voix.

— Oh ! que c’est cruel ! inhumain ! et pas un mot, pas un mot ! S’il avait au moins répondu qu’il ne veut plus de moi, qu’il me repousse… mais ne pas écrire une ligne pendant trois jours entiers ! Il est si facile d’offenser, de blesser une pauvre jeune fille sans défense, qui n’a que le tort d’aimer ! Oh ! combien j’ai souffert durant ces trois jours, mon Dieu ! mon Dieu ! Et dire que je suis allée chez lui moi-même, que je me suis humiliée devant lui, que j’ai pleuré, que je l’ai supplié, que je lui ai demandé son amour, et après tout cela… Ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible, n’est-ce pas ? (Ses yeux noirs jetaient des éclairs.) Ce n’est pas naturel, nous nous sommes trompés, vous et moi ; il n’aura pas reçu ma lettre ! il ne sait encore rien ! Comment cela se pourrait-il ? Jugez vous-même ; dites-moi ; expliquez-moi : est-il possible d’agir aussi barbarement ! Pas un mot ! mais au dernier des hommes on est plus pitoyable ! Peut-être lui aura-t-on dit quelque chose contre moi ? hein ! qu’en pensez-vous ?

— Écoutez, Nastenka, j’irai chez lui demain de votre part.

— Et puis ?

— Et je lui dirai tout.

— Et puis ! et puis ?

— Vous écrirez une lettre. Ne dites pas non, Nastenka, ne dites pas non ! Je le forcerai à prendre en bonne part votre démarche. Il saura tout, et si…

— Non, mon ami, non, interrompit-elle, je n’écrirai pas. Plus un mot de moi. Je ne le connais plus, je ne l’aime plus. Je l’ou-bli-e-rai…

Elle n’acheva pas.

— Tranquillisez-vous ! Asseyez-vous ici !

Je lui montrais une place sur le banc.

— Mais je suis tranquille. C’est bien cela… oh ! je ne