Page:Dostoïevski - Le Joueur - Les Nuits Blanches, trad. Kaminski, ed. Plon, 1925.djvu/193

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L’agitation de la pauvre fille était si forte qu’elle ne put achever, posa sa tête sur mon épaule et sanglota ; je la consolai, je la raisonnai ; elle serrait ma main et me parlait en sanglotant.

— Attendez ! ça va cesser !

Elle cessa en effet, essuya ses joues et nous nous mîmes à marcher ; je voulais parler, mais longtemps encore elle me pria d’attendre ; nous nous taisions ; elle reprit enfin sa présence d’esprit et se remit à parler.

— Voici… commença-t-elle d’une voix tremblante où vibrait un accent qui m’allait droit au cœur, ne pensez pas que je sois inconstante, que j’aie pu si facilement oublier et trahir. Pendant tout un an je l’ai aimé, je n’ai pas eu de pensée qui ne fût à lui. Mais vous voyez, il m’abandonne. Eh bien !… je ne l’aime plus, car je ne puis aimer que ce qui est noble, généreux ; que Dieu lui pardonne ! Il a bien fait, d’ailleurs. Ah ! si je m’étais détrompée trop tard ? C’est fini ! Peut-être n’était-ce qu’une illusion. Peut-être ne l’eussé-je pas tant aimé si j’avais été moins sévèrement tenue par ma babouschka. Peut-être est-ce un autre que je devais aimer. Je veux dire que, malgré que je l’aime (non, que je l’aie aimé), si vous sentez que votre amour est assez grand pour chasser de mon cœur tout autre sentiment et pour remplir mon cœur, si vous avez pitié de moi, si vous ne voulez pas me laisser seule, si vous voulez m’aimer toujours comme maintenant, je vous jure alors que ma reconnaissance, que mon amour enfin sera digne du vôtre… Prendrez-vous maintenant ma main ?

— Nastenka ! m’écriai-je étouffant de sanglots ; Nastenka !

— C’est tout à fait assez ! dit-elle en se dominant. Tout est dit, n’est-ce pas ? Eh bien ! vous êtes heureux ? Maintenant, parlons d’autre chose, voulez-vous ?

— Oui, Nastenka, oui, parlons d’autre chose ! oui, parlons d’autre chose ! Je suis heureux, je suis… Eh bien,