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le joueur

quelque jour, cette parole que vous attendiez, et nous verrons comment vous vous exécuterez. Je vous hais pour toutes les libertés de langage que je vous ai laissé prendre avec moi, et davantage encore parce que j’ai besoin de vous. D’ailleurs, soyez tranquille, je vous ménagerai tant que vous me serez nécessaire.

Elle se leva ; elle parlait avec irritation ; depuis quelque temps, nos conversations finissaient toujours ainsi.

— Permettez-moi de vous demander quelle personne est Mlle Blanche ?

— Vous le savez bien. Rien n’est survenu depuis votre départ. Mlle Blanche sera certainement « madame la générale », si le bruit de la mort de la babouschka se confirme ; car Mlle Blanche, sa mère et le marquis (son cousin au troisième degré) savent très bien que nous sommes ruinés.

— Et le général est amoureux fou ?

— Il ne s’agit pas de cela. Tenez, voici sept cents florins, allez à la roulette et gagnez pour moi le plus possible. Il me faut de l’argent.

Elle me quitta et rejoignit à la gare toute notre société. Moi, je pris un sentier et me promenai en réfléchissant. L’ordre d’aller jouer à la roulette me laissait abasourdi. J’avais bien des choses en tête, et pourtant je perdais mon temps à analyser mes sentiments pour Paulina. Parole, je regrettais mes quinze jours d’absence. Je m’ennuyais alors, j’étais agité comme quelqu’un qui manque d’air, mais j’avais des souvenirs et une espérance.

Un jour, cela se passait en Suisse, dormant dans un wagon, je me surpris à parler haut à Paulina. Ce furent, je crois, les rires de mes voisins qui m’éveillèrent.

Et une fois de plus, je me demandai : « L’aimé-je ? » et, pour la centième fois, je me répondis : « Je la hais. » Parfois, surtout à la fin de nos conversations, j’aurais donné, pour pouvoir l’étrangler, toutes les années qu’il