Page:Dostoïevski - Le Joueur - Les Nuits Blanches, trad. Kaminski, ed. Plon, 1925.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
le joueur

— Pour Dieu ! n’ayez pas cette pensée. J’ai fait une sottise, j’en conviens ! c’est une inconvenante espièglerie, mais ce n’est rien de plus. Je m’en repens d’ailleurs, mais j’ai une excuse. Voilà deux ou trois semaines que je ne vais pas bien. Je me sens nerveux, irrité, fantasque, malade, et je perds tout empire sur moi-même. Ma parole, j’ai parfois envie de prendre à partie le marquis de Grillet, qui est là, et… mais je ne terminerai pas ; ça pourrait l’offenser. En un mot, ce sont des symptômes morbides. J’ignore si la baronne voudra bien accepter ces excuses, car j’ai l’intention de lui faire des excuses. Je ne pense même pas, entre nous, qu’elle les accepte, d’autant plus que, ces derniers temps, on a beaucoup abusé, au point de vue criminel, de la maladie comme circonstance atténuante. L’avocat et le médecin s’entendent pour découvrir un fou sous le masque d’un meurtrier. Mais le baron et la baronne sont de l’ancien temps. De plus, ce sont de grands seigneurs ; ils ignorent les progrès de la science juridico-médicale, et de telles explications seraient mal venues auprès d’eux. Qu’en pensez-vous, général ?

— Assez, monsieur. Je vais une fois pour toutes me débarrasser de vous. Je vous défends de faire aucune excuse à la baronne ; ce serait de votre part une nouvelle offense. Le baron a appris que vous étiez de ma maison, et nous nous sommes expliqués ensemble. Un peu plus, il me demandait satisfaction. Comprenez-vous à quoi vous m’exposiez, monsieur ? Je lui ai donné ma parole qu’aujourd’hui même vous auriez cessé de m’appartenir.

— Permettez, général. Est-ce bien lui qui exige que vous… vous défassiez de moi, puisque je suis de votre maison, comme vous daignez l’avouer ?

— Non, mais je me suis cru en devoir de lui fournir cette réparation, et il s’en est contenté. Nous nous séparons, monsieur. Je vous devais encore quarante-trois