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le joueur

me venger de Paulina et l’amener à me prier elle-même de m’arrêter, car mes imprudences pouvaient finir par la compromettre… De plus, je ne voulais pas, devant elle, reculer et passer pour une poule mouillée. Ce n’était pas au baron à se servir de sa canne avec moi. Je tenais à me moquer d’eux tous et à me tirer en homme de cette affaire.


VII


Ce matin j’ai appelé le garçon et demandé que désormais on fît un compte à part pour moi. J’ai conservé ma chambre, qui n’était pas trop chère. D’ailleurs, je possède six cents florins, et… qui sait ?… peut-être une fortune. Chose étrange ! je n’ai encore rien gagné, et je ne puis m’empêcher d’avoir des pensées de millionnaire.

Je me proposais, malgré l’heure matinale, d’aller chez M. Astley, à l’hôtel d’Angleterre, quand de Grillet entra chez moi. C’était la première fois qu’il me faisait tant d’honneur. Pendant ces derniers temps, nous avions eu des rapports un peu tendus. Il me méprisait et je le détestais. J’avais des motifs particuliers pour le détester. Sa visite m’étonna donc beaucoup.

Il me salua très poliment, me fit des compliments banaux sur mon installation, et, me voyant le chapeau à la main, me demanda si j’allais me promener. Je lui répondis que je me rendais chez M. Astley pour affaires. Aussitôt son visage devint soucieux.

De Grillet est, comme tous les Français, gai, aimable quand il le faut ou quand cela rapporte, et terriblement ennuyeux quand la gaieté et l’amabilité ne sont pas nécessaires. Le Français est très rarement aimable par tempérament ; il ne l’est presque jamais que par calcul. S’il sent la nécessité d’être original, sa fantaisie est ridi-