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le joueur

mille francs et s’en allait aussitôt. La babouschka la regarda longtemps.

— Ah ! celle-ci ne perdra pas ! dit-elle. Qui est-ce ?

— Une Française, probablement, lui répondis-je tout bas.

— Ah ! cela se voit… Explique-moi maintenant la marche du jeu.

Je lui donnai les explications les plus claires possibles sur les nombreuses combinaisons de rouge et noir, pair et impair, manque et passe et sur les diverses nuances des systèmes de chiffres. Elle écoutait attentivement, questionnait sans cesse et se pénétrait de mes réponses.

— Et que signifie le zéro ? Le croupier principal a crié tout à l’heure : « Zéro », et a ramassé toutes les mises. Qu’est-ce que ça signifie ?

— Le zéro, babouschka, est pour la banque ; toutes les mises lui appartiennent quand c’est sur le zéro que tombe la petite boule.

— Et personne alors ne gagne ?

— Le banquier seulement. Pourtant, si vous aviez ponté sur le zéro on vous payerait trente-cinq fois votre mise.

— Et cela arrive souvent ? Pourquoi ne pontent-ils donc jamais sur le zéro, ces imbéciles ?

— Parce qu’on n’a qu’une chance contre trente-cinq.

— Quelle bêtise !… Potapitch !… Mais non, j’ai mon argent sur moi.

Elle tira de sa poche une bourse bien garnie et y prit un florin.

— Là, mets-le tout de suite sur le zéro.

— Babouschka, le zéro vient de sortir ; c’est un mauvais moment pour jouer sur ce chiffre. Attendez.

— Qu’est-ce que tu racontes ! Mets où je te dis.

— Soit, mais le zéro peut ne plus sortir aujourd’hui, et si vous vous entêtez, vous pouvez y perdre mille florins.