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le joueur

avec moi ? Tu ne sais où aller, et, d’ailleurs, il n’est pas convenable que tu restes avec eux dans ces conditions. Tais-toi, continua la babouschka en imposant silence à Paulina, qui voulait répondre, je n’ai pas fini. Je ne te demande rien. J’ai un palais à Moscou, tu le sais. Je t’offre un étage entier. Tu resteras dans ton appartement sans même me voir, si ça te plaît. Veux-tu, oui ou non ?

— Permettez-moi d’abord de vous demander si vous êtes irrévocablement décidée à partir tout de suite ?

— Ai-je donc l’air de plaisanter, ma petite mère ? Je l’ai dit et je le ferai. J’ai été nettoyée aujourd’hui de quinze mille roubles à votre roulette mille fois maudite. Dans mon district, j’ai promis depuis longtemps de faire construire en pierre une église de planches, et je me suis laissé souffler ici la somme que je destinais à cela ! Eh bien ! je ferai quand même mon église.

— Et les eaux, babouschka ? Vous êtes venue ici pour suivre un traitement.

— Et va donc avec tes eaux ! Ne me mets pas en colère, Praskovia ! Je crois que tu as pris à tâche de m’irriter ! Viens-tu avec moi, oui ou non ?

— Je vous remercie beaucoup, beaucoup, babouschka, pour l’asile que vous m’offrez. Vous avez compris ma situation, je vous en suis reconnaissante ; j’irai chez vous, et bientôt peut-être. Mais, maintenant, pour des motifs… importants… je ne puis me décider tout de suite. Si vous restiez encore une quinzaine…

— Cela veut dire que tu refuses !

— Cela veut dire que je ne peux pas. Puis-je laisser ici mon frère et ma sœur ? Et comme… comme… il se peut qu’on les abandonne… alors… Si vous me preniez moi et les enfants, babouschka, j’irais certainement avec vous, et je tâcherais de mériter vos bontés, ajouta-t-elle avec chaleur. Mais sans les enfants, je ne puis accepter.

— C’est bien ! Ne pleure pas ! (Paulina ne semblait pas avoir l’intention de pleurer, et, de fait, elle ne pleurait