Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Mais qu’en penses-tu ? Es-tu dans la bonne voie, eh ?

— Je ne pense rien du tout.

— C’est précisément ce qui est mal, que tu ne penses pas. Reviens à toi, pendant qu’il en est encore temps. Il en est temps encore. Tu es jeune, tu es belle ; tu pourrais aimer, te marier, être heureuse…

— Toutes celles qui sont mariées ne sont pas toujours heureuses, dit-elle encore rapidement comme avant.

— Pas toutes, bien entendu, mais cela vaut toujours mieux qu’ici. Beaucoup mieux. Mais quand on aime, on peut se passer de bonheur. La vie est encore belle dans le malheur, il fait bon vivre, n’importe comment. Mais, ici, ce n’est que puanteur. Fi !

Je me détournai avec dégoût ; je ne raisonnais plus froidement. Je commençais à sentir ce que je disais et à y mettre de l’ardeur. Il me tardait d’exposer mes petites idées secrètes, formées dans mon coin. Quelque chose s’était allumé en moi, un but était « venu ».

— Ne fais pas attention à moi, parce que je suis ici ; je ne te sers pas d’exemple. Je suis peut-être bien pis que toi. D’ailleurs, je suis venu ici en état d’ivresse, me hâtai-je de m’excuser. — Et puis, l’homme n’est pas un modèle pour la femme. C’est différent ; je puis venir ici, et me salir, et me dégra-