Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout ma méchanceté ? En ce fait particulièrement abominable qu’à chaque instant et lors de mes plus violentes sorties, je devais m’avouer à ma honte que, non seulement je n’étais pas si méchant, mais encore que je n’éprouvais pas de colère, que je jouais l’épouvantail par manière d’amusement. J’écumais, mais la plus légère amabilité, une tasse de thé, eut suffi à me calmer. Et cette pensée m’attendrissait. bien qu’ensuite et pour des mois j’en eusse grincé des dents et perdu le sommeil de fureur contre moi-même. C’est ainsi que j’étais.

Mais, tout à l’heure, en disant que je fus un méchant employé je m’accusais faussement ; je mentais par malice. Non, je m’amusais à mystifier ces gens-là, l’officier comme les autres. En réalité, je n’aurais jamais pu être méchant. Je découvrais constamment en moi une foule d’éléments contraires. Je les y sentais bouillonner, sachant qu’ils m’avaient habité toute ma vie et qu’ils voulaient s’épancher au dehors. Mais cela, je ne le permettais pas ; je ne les laissais pas faire ; je ne voulais pas qu’ils sortissent ! Ils me torturaient jusqu’à la honte ; ils m’eussent fait tomber en convulsions et j’en avais assez ! Ah ! que j’en avais donc assez ! Peut-être vous imaginez-vous, Messieurs, que j’éprouve quelque repentir, que je veuille m’excuser de quoi que ce soit ?… Je suis sûr qu’il vous en semble ainsi… Au demeurant, soyez certains que je m’en moque ! Non seulement je ne sus pas devenir méchant,