Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/25

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Le désir bas et méprisable de rendre le mal pour le mal s’agite peut-être en elle d’une façon encore plus ignoble que chez l’homme de la nature et de la vérité, car, en sa bêtise innée, celui-ci voit tout bonnement sa vengeance comme une manifestation de la justice, tandis qu’en raison de sa conscience hypertrophiée, la souris repousse une pareille conception. Arrivons donc à l’action elle-même, à l’acte même de vengeance.

Outre sa vilenie première, la malheureuse souris a eu le temps de s’environner d’un amoncellement d’autres vilenies sous forme d’interrogations et de doutes. Une question entraîne tant d’autres question insolubles ! Ainsi s’amasse autour d’elle une boue infecte, une vase fatale faite de ses doutes, de ses émois, et aussi des crachats déversés sur elle par les « hommes d’action sortant de l’ordinaire » qui l’entourent d’une sorte d’aréopage solennel et gouailleur, riant parfois aux éclats de tout leur large gosier.

Nul doute qu’elle n’ait qu’à faire de la patte un geste de désespérance et, se couvrant d’un sourire dédaigneux et peu sincère, qu’à se glisser honteusement dans son trou. Là, sous le parquet, dans sa retraite affreuse et puante, outragée, ridiculisée, battue, notre souris se plonge aussitôt dans une rage froide, venimeuse, et, surtout, éternelle. Quarante années durant, elle ruminera son injure dans ses moindres détails les plus honteux, y ajoutant