Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/32

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déchire les autres et soi-même, que le public pour lequel il joue sa comédie et toute sa famille l’écoutent avec dégoût, ne croient pas à la sincérité de ses plaintes et pensent à part soi qu’il pourrait crier plus simplement, sans roulades, sans artifices et qu’il s’abandonne par méchanceté et par cabotinisme… Eh bien, c’est précisément dans ces aveux qu’il se fait et dans toutes ces turpitudes que git la volupté.

« Je vous tourmente ; je vous brise le cœur ; je ne laisse dormir personne dans la maison. Non, vous ne dormirez pas ; vous ressentirez à chaque instant les effets de mon mal de dents. Je ne suis plus pour vous le héros que je m’étais efforcé de paraître jusqu’ici, mais un sale monsieur, un mufle ! Soit ! je suis enchanté que vous m’ayez compris. Ça vous ennuie d’entendre mes lâches gémissements ? Eh bien tant pis : je vais vous en faire entendre bien d’autres !… »

Vous ne comprenez pas encore, Messieurs ? Non, car il paraît qu’il faut être extrêmement développé et conscient pour saisir toutes les finesses de cette volupté. Vous riez ? J’en suis ravi, Monsieur. Mes plaisanteries, certes, sont d’assez mauvais goût ; elles sont raboteuses, embrouillées, elles manquent d’assurance. Mais cela tient à ce que je ne me respecte pas. Dites-moi : un homme en pleine possession de sa conscience peut-il jamais se respecter ?