Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/39

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que tranquille, et il avait bien raison… Je me serais alors choisi une carrière : j’aurais été un paresseux et un goinfre, non pas tout bonnement, par exemple, mais en sympathie avec tout ce qu’il est de beau et d’élevé. Cela serait-il de votre goût ? Moi j’y ai souvent rêvé. Ce beau et ce bon qui m’ont tant pesé sur la nuque à mes quarante ans, comme ils me fussent apparus différents ! J’aurais aussitôt trouvé un champ d’activité correspondant, soit : boire a tout ce qui est beau et élevé. À toute éventualité, j’aurais toujours eu une goutte dans mon verre, une goutte à vider en l’honneur de quelque chose de beau et d élevé. Tous les objets de l’univers, j’en eusse fait « du beau et de l’élevé » ; j’en aurais trouvé dans les choses les plus basses, les plus viles, les plus infâmes. J’eusse été plus larmoyant qu’une éponge mouillée.

Par exemple, un peintre eût-il peint comme Gay que j’aurais aussitôt bu à la santé de ce peintre, « parce que j’apprécie tout ce qui est beau et élevé ». Un auteur aurait écrit : « Comme il vous plaira », j’aurais bu à la santé de « Comme il vous plaira », parce que j’aime tout ce qui est beau et élevé… J’aurais exigé qu’on me respectât pour cela, et j’aurais persécuté quiconque ne m’eût pas témoigné de respect. J’aurais vécu tranquillement et je serais mort triomphalement ! voilà qui eût été charmant, tout à fait charmant ! Et j’aurais laissé croître mon ventre, j’eusse édifié un menton à trois étages ; je me serais fabriqué