Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/65

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il faut vivre dans un palais. C’est mon désir, ma volonté. Vous me le ferez perdre, quand vous aurez changé ma volonté. Eh bien, changez-la-moi, charmez-moi par autre chose, donnez-moi un autre idéal. Mais en attendant, je ne prendrai pas un poulailler pour un palais. Admettons que le palais de cristal ne soit qu’une blague, qu’il ne doive pas exister d’après les lois de la nature, que je l’aie inventé uniquement par ma propre bêtise, à cause de quelques vieilles habitudes irrationnelles de notre génération. Mais, qu’est-ce que cela me fait qu’il ne doive pas exister. N’est-ce pas la même chose, du moment qu’il existe dans mes désirs, ou plutôt, qu’il existe tant que mes désirs existent ? Vous riez peut-être encore ? Riez donc. J’accepterai toutes les railleries et je ne dirai cependant pas que je suis rassasié, si j’ai faim ; je sais quand même qu’un compromis, pas plus qu’un zéro périodique à l’infini, ne saurait me calmer, uniquement parce qu’il existe d’après les lois de la nature et qu’il existe réellement. Je vais considérer comme la couronne de mes désirs une grande maison de rapport, avec des logements pour locataires pauvres et un bail de mille ans et même à la rigueur, avec l’enseigne du dentiste Wagenheim. Anéantissez mes désirs, effacez mon idéal, montrez-moi quelque chose de mieux, et je vous suivrai. Vous direz peut-être que vous ne voulez pas vous en occuper ; mais dans ce cas je pourrai vous répondre de la même façon.