Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/84

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compris cet impudent de marqueur, jusqu’au dernier petit employé corrompu et couperosé, ne me comprissent pas et se moquassent de moi, quand je me mettrais à protester et à parler un langage littéraire. Car on ne peut parler chez nous du point d’honneur (c’est-à-dire, non pas de l’honneur, mais du point d’honneur) autrement qu’en langage littéraire. En langage ordinaire, on ne s’occupe pas du point d’honneur. Je suis parfaitement persuadé (le flair de l’actualité malgré tout le romantisme) que tous eussent éclaté de rire. Quant à l’officier, il m’aurait battu plus simplement, sans trop de mal. Me donnant alors des coups de genou, il m’eût fait faire ainsi le tour du billard, ensuite m’eût fait grâce, puis m’eût fait descendre par la fenêtre. Certainement, cette histoire misérable ne pouvait se terminer ainsi avec moi. Après cela, je rencontrai souvent cet officier dans la rue ; je le reconnaissais très bien. Je ne sais pas s’il me reconnaissait. Je crois que non ; certains indices me permettent de le penser. Mais moi, moi, je le regardais avec haine et colère ; et cela dura plusieurs années. Ma colère se fortifiait et grandissait d’une année à l’autre. D’abord, tout doucement, je me renseignais sur mon officier. Cela m’était difficile, parce que je ne connaissais personne. Mais un jour que je le suivais de loin, comme s’il me tenait en laisse, quelqu’un l’appela par son nom et j’appris ainsi comment il se nommait. Une autre fois je le suivis jusqu’à sa de-