Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/103

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« C’est dommage. Je voulais seulement lui annoncer que ce sang qui m’a angoissé toute la nuit est lavé et que je ne suis pas un assassin ! Messieurs, c’est ma fiancée ! dit-il avec respect en regardant tous les assistants. Oh ! je vous remercie ! Vous m’avez rendu à la vie… Ce vieillard m’a porté dans ses bras, c’est lui qui me lavait dans une auge quand j’avais trois ans, quand j’étais abandonné de tous. Il m’a servi de père !…

— Donc, vous… reprit le juge.

— Permettez, messieurs, encore un instant, interrompit Mitia, en s’accoudant sur la table, le visage caché dans ses mains, laissez-moi me recueillir, laissez-moi respirer. Tout cela me bouleverse ; on ne frappe pas sur un homme comme sur un tambour, messieurs !

— Vous devriez boire un peu d’eau… »

Mitia se découvrit le visage et sourit. Il avait le regard vif et paraissait transformé. Ses manières aussi avaient changé, il se sentait de nouveau l’égal de ces gens, de ses anciennes connaissances, comme s’ils s’étaient rencontrés la veille dans le monde, avant l’événement. Notons que Mitia avait d’abord été reçu cordialement chez l’ispravnik, mais que, par la suite, le dernier mois surtout, il avait presque cessé de fréquenter chez lui. L’ispravnik, quand il le rencontrait dans la rue, fronçait les sourcils et ne le saluait que par politesse, ce qui n’échappait pas à Mitia. Il connaissait encore moins le procureur, mais rendait parfois visite, sans trop savoir pourquoi, à sa femme, personne nerveuse et fantasque ; elle le recevait toujours gracieusement et lui témoignait de l’intérêt. Quant au juge, il avait échangé, une ou deux fois avec lui, des propos sur les femmes.

« Vous êtes, Nicolas Parthénovitch, un juge d’instruction fort habile, à ce que je vois, dit gaiement Mitia ; d’ailleurs je vais vous aider. Oh ! messieurs, je suis ressuscité… Ne vous formalisez pas de ma franchise, aussi bien je suis un peu ivre, je l’avoue. Il me semble avoir eu l’honneur… l’honneur et le plaisir de vous rencontrer, Nicolas Parthénovitch, chez mon parent Mioussov… Messieurs, je ne prétends pas à l’égalité, je comprends ma situation vis-à-vis de vous. Il pèse sur moi, si Grigori m’accuse, il pèse sur moi, bien sûr, une charge terrible. Je le comprends très bien. Mais, au fait, messieurs, je suis prêt et nous en aurons bientôt fini. Si je suis sûr de mon innocence, ce ne sera pas long, n’est-ce pas ? »