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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/114

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V

Troisième tribulation

Tout en parlant avec brusquerie, Mitia parut encore plus désireux de n’omettre aucun détail. Il raconta comment il avait escaladé la palissade, marché jusqu’à la fenêtre et tout ce qui s’était alors passé en lui. Avec précision et clarté, il exposa les sentiments qui l’agitaient quand il brûlait de savoir si Grouchegnka était ou non chez son père. Chose étrange, le procureur et le juge écoutaient avec une extrême réserve, l’air rébarbatif, ne posant que de rares questions. Mitia ne pouvait rien augurer de leurs visages. « Ils sont irrités et offensés, pensa-t-il, tant pis ! » Lorsqu’il raconta qu’il avait fait à son père le signal annonçant l’arrivée de Grouchegnka, les magistrats n’accordèrent aucune attention au mot signal, comme s’ils n’en comprenaient pas la portée dans la circonstance. Mitia remarqua ce détail. Arrivé au moment où, à la vue de son père penché hors de la fenêtre, il avait frémi de haine et sorti le pilon de sa poche, il s’arrêta subitement, comme à dessein. Il regardait le mur et sentait les regards de ses juges, fixés sur lui.

« Eh bien, dit Nicolas Parthénovitch, vous avez saisi votre arme et… et que s’est-il passé ensuite ?

— Ensuite ? J’ai tué… j’ai porté à mon père un coup de pilon qui lui a fendu le crâne… D’après vous, c’est ainsi, n’est-ce-pas ? »

Ses yeux étincelaient. Sa colère apaisée se rallumait dans toute sa violence.

« D’après nous, mais d’après vous ? »

Mitia baissa les yeux, fit une pause.

« D’après moi, messieurs, d’après moi, voici ce qui est arrivé, reprit-il doucement : est-ce ma mère qui implorait Dieu pour moi, un esprit céleste qui m’a baisé au front à ce moment ? Je ne sais, mais le diable a été vaincu. Je m’écartai de la fenêtre et courus à la palissade. Mon père, qui m’aperçut alors, prit peur, poussa un cri et recula vivement,