procureur, dont la réserve disparut aussitôt.
Il interrogeait avec une sorte d’hésitation, pressentant un fait important, et tremblait que Mitia refusât de l’expliquer.
« Ah ! vous ne saviez pas ! dit Mitia en clignant de l’œil avec un sourire ironique. Et si je refusais de répondre ? Qui vous renseignerait ? Le défunt, Smerdiakov et moi étions seuls à connaître le secret ; Dieu aussi le sait, mais il ne vous le dira pas. Or, le fait est curieux, on peut échafauder là-dessus à plaisir, ha ! ha ! Consolez-vous, messieurs, je vous le révélerai, vos craintes sont vaines. Vous ne savez pas à qui vous avez affaire ! L’accusé dépose contre lui-même. Oui, car je suis un chevalier d’honneur, mais pas vous ! »
Dans son impatience d’apprendre le fait nouveau, le procureur avalait ces pilules. Mitia expliqua en détail les signaux imaginés par Fiodor Pavlovitch pour Smerdiakov, le sens de chaque coup à la fenêtre ; il les reproduisit même sur la table. Nicolas Parthénovitch lui ayant demandé s’il avait fait alors au vieillard le signal convenu pour l’arrivée de Grouchegnka, Mitia répondit affirmativement.
« Maintenant, échafaudez là-dessus une hypothèse ! trancha-t-il en se détournant avec dédain.
— Ainsi, votre défunt père, le domestique Smerdiakov et vous connaissiez seuls ces signaux ? insista le juge.
— Oui, le domestique Smerdiakov, et puis Dieu. Notez ceci. Vous devrez vous-même recourir à Dieu. »
On en prit note, bien entendu, mais à ce moment le procureur dit, comme s’il lui venait une idée :
« Dans ce cas, et puisque vous affirmez votre innocence, ne serait-ce pas Smerdiakov qui se fit ouvrir la porte par votre père, en donnant le signal, et ensuite… l’assassina ? »
Mitia lui jeta un regard chargé d’ironie et de haine, le fixa si longtemps que le procureur battit des paupières.
« Vous vouliez encore attraper le renard, vous lui avez pincé la queue, hé ! hé ! Vous pensiez que j’allais me raccrocher à ce que vous insinuez et m’écrier à pleine gorge : « Ah ! oui, c’est Smerdiakov, voilà l’assassin ! » Avouez que vous l’avez pensé, avouez-le, alors je continuerai. »
Le procureur n’avoua rien. Il attendit en silence.
« Vous vous êtes trompé, je n’accuserai pas Smerdiakov, déclara Mitia.
— Et vous ne le soupçonnez même pas ?
— Est-ce que vous le soupçonnez, vous ?
— Nous l’avons aussi soupçonné. »
Mitia baissa les yeux.