Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/150

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maintenant tu cries. Je m’étonne seulement de votre bonté envers de tels gaillards.

— Qu’avons-nous besoin d’une deuxième troïka ? intervint Mitia, voyageons avec une seule, Mavriki Mavrikiévitch, je ne me révolterai ni ne m’enfuirai, qu’as-tu à faire d’une escorte ?

— Apprenez à me parler, monsieur, veuillez ne pas me tutoyer et gardez vos conseils pour une autre fois », répliqua hargneusement Mavriki Mavrikiévitch, comme heureux d’exhaler sa mauvaise humeur.

Mitia se tut, rougit. Un instant après, il sentit vivement le froid. La pluie avait cessé, mais le ciel était couvert de nuages, un vent aigre soufflait au visage. « J’ai des frissons », songea Mitia en se pelotonnant. Enfin Mavriki Mavrikiévitch monta à son tour, s’assit pesamment, bien à l’aise, refoula Mitia sans paraître y prendre garde. À vrai dire il était mal disposé et fort mécontent de la mission dont on l’avait chargé.

« Adieu, Tryphon Borissytch ! » cria de nouveau Mitia, sentant que cette fois ce n’était pas de bon cœur, mais de colère, malgré lui, qu’il criait.

L’aubergiste, l’air rogue, les mains derrière le dos, fixa Mitia d’un regard sévère et ne lui répondit pas. Mais une voix retentit soudain.

« Adieu Dmitri Fiodorovitch, adieu ! »

Accourant sans casquette vers la télègue, Kalganov tendit à Mitia une main, que celui-ci eut encore le temps de serrer.

« Adieu, mon brave ami, je n’oublierai pas votre générosité ! » dit-il avec chaleur.

Mais la télègue s’ébranla, leurs mains se dénouèrent, les grelots tintèrent : on emmenait Mitia.

Kalganov courut au vestibule, s’assit dans un coin, courba la tête, se cacha la figure dans ses mains et pleura longtemps, comme un petit garçon. Il était presque convaincu de la culpabilité de Mitia. « Qu’est-ce que les gens peuvent valoir, après cela ! », murmurait-il, tout désemparé. Il ne voulait même plus vivre. « Est-ce que ça vaut la peine ? » s’écriait-il dans son chagrin.