Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/172

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jusqu’à l’incident du canif. Il doit y avoir une autre cause… Ce chien est à vous ?

— Oui, c’est Carillon.

— Ah, ce n’est pas Scarabée ? dit Aliocha en regardant tristement Kolia dans les yeux. L’autre a vraiment disparu ?

— Je sais que vous voudriez tous avoir Scarabée, on m’a tout raconté, répliqua Kolia, avec un sourire énigmatique. Écoutez, Karamazov, je vais tout vous dire, c’est d’ailleurs pour vous expliquer la situation que je vous ai fait venir avant d’entrer, commença-t-il avec animation. Au printemps, Ilioucha est entré en préparatoire. Vous savez ce que sont les élèves de cette classe : des moutards, de la marmaille. Ils se mirent aussitôt à le taquiner. Je suis deux classes plus haut et, bien entendu, je les observe de loin. Je vois un petit garçon chétif, qui ne se soumet pas, se bat même avec eux ; il est fier, ses yeux brillent. J’aime ces caractères-là. Les autres redoublent. Le pire, c’est qu’il avait alors un méchant costume, un pantalon qui remontait, des souliers percés. Raison de plus pour l’humilier. Cela me déplut, je pris aussitôt sa défense et je leur donnai une leçon, car je les bats et ils m’adorent, vous savez cela, Karamazov ? dit Kolia avec une fierté expansive. En général, j’aime les marmots. J’ai maintenant, à la maison, deux gosses sur les bras, ce sont eux qui m’ont retenu aujourd’hui. On cessa de battre Ilioucha et je le pris sous ma protection. C’est un garçon fier, je vous assure, mais il finit par m’être servilement dévoué, exécuta mes moindres ordres, m’obéit comme à Dieu, s’efforça de m’imiter. Aux récréations, il venait me trouver et nous nous promenions ensemble, le dimanche également. Au collège, on se moque de voir un grand se lier ainsi avec un petit, mais c’est un préjugé. Telle est ma fantaisie, et basta, n’est-ce pas ? Ainsi, vous, Karamazov, qui vous êtes lié avec tous ces gosses, vous voulez, n’est-ce pas, influer sur la jeune génération, la former, vous rendre utile ? Et, je l’avoue, ce trait de votre caractère, que je connaissais par ouï-dire, m’a fort intéressé, plus qu’aucun autre. Mais venons au fait : je remarque que ce garçon devient sensible, sentimental à l’excès ; or, sachez que depuis ma naissance je suis l’ennemi décidé des « tendresses de veau ». De plus, il se contredit : tantôt il se montre servilement dévoué, tantôt ses yeux étincellent, il ne veut pas tomber d’accord avec moi, il discute, il se fâche. J’exposais parfois certaines idées ; ce n’est pas qu’il y fût opposé, mais je voyais qu’il se révoltait contre moi personnellement,