Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/178

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fois celui-ci avait refusé sèchement, en faisant dire à Aliocha que s’il venait le chercher, lui-même n’irait jamais chez Ilioucha ; il priait donc qu’on le laissât en repos. Jusqu’au dernier jour, Smourov lui-même ignorait que Kolia eût décidé de se rendre chez Ilioucha et la veille au soir seulement, en prenant congé de lui, Kolia lui avait dit brusquement de l’attendre à la maison le lendemain matin, parce qu’il l’accompagnerait chez les Sniéguiriov, mais qu’il se gardât de parler à personne de sa visite, car il voulait arriver à l’improviste. Smourov obéit. Il se flattait que Krassotkine ramènerait Scarabée disparu : n’avait-il pas prétendu un jour qu’ « ils étaient tous des ânes de ne pouvoir retrouver ce chien s’il vivait encore ». Mais, lorsque Smourov avait fait part timidement de ses conjectures, Krassotkine s’était fâché tout rouge : « Suis-je assez stupide pour chercher des chiens étrangers par la ville, quand j’ai Carillon ? Peut-on espérer que cette bête soit restée en vie après avoir avalé une épingle ? Ce sont des « tendresses de veau », voilà tout ! »

Cependant, depuis deux semaines, Ilioucha n’avait presque pas quitté son petit lit, dans un coin, près des saintes images. Il n’allait plus en classe depuis le jour où il avait mordu le doigt d’Aliocha. Sa maladie datait de là ; pourtant, durant un mois encore, il put se lever parfois, pour marcher dans la chambre et le vestibule. Enfin, ses forces l’abandonnèrent tout à fait, et il lui fut impossible de se mouvoir sans l’aide de son père. Celui-ci tremblait pour Ilioucha ; il cessa même de boire ; la crainte de perdre son fils le rendait presque fou et souvent, surtout après l’avoir soutenu à travers la chambre et recouché, il se sauvait dans le vestibule. Là, dans un coin sombre, le front au mur, il étouffait convulsivement ses sanglots, pour n’être pas entendu du petit malade. De retour dans la chambre, il se mettait d’ordinaire à divertir et à consoler son cher enfant, lui racontait des histoires, des anecdotes comiques, ou contrefaisait des gens drôles qu’il avait rencontrés, imitait même les cris des animaux. Mais les grimaces et les bouffonneries de son père déplaisaient fort à Ilioucha. Bien qu’il s’efforçât de dissimuler son malaise, il sentait, le cœur serré, que son père était humilié en société, et le souvenir du « torchon de tille » et de cette « terrible journée » le poursuivait sans cesse. La sœur infirme d’Ilioucha, la douce Nina, n’aimait pas non plus les grimaces de son père (Varvara Nicolaievna était partie depuis longtemps suivre les cours à Pétersbourg) ; en revanche,