Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/181

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avait pâli. Il se dressa, regarda fixement Kolia. Celui-ci, qui n’avait pas vu son petit ami depuis deux mois, s’arrêta consterné ; il ne s’attendait pas à trouver un visage si jaune, si amaigri, des yeux si brûlants de fièvre, si démesurément agrandis, des mains si frêles. Avec une douloureuse surprise il voyait qu’Ilioucha avait la respiration pénible et précipitée, les lèvres desséchées. Il s’approcha, lui tendit la main et proféra, embarrassé :

« Eh bien, mon vieux… comment ça va ? »

Mais sa voix s’étrangla, son visage se contracta, il eut un léger tremblement près des lèvres. Ilioucha, encore incapable de prononcer une parole, lui souriait tristement, Kolia lui passa tout à coup la main dans les cheveux.

« Ça ne va pas mal ! » répondit-il machinalement.

Ils se turent un instant.

« Alors tu as un nouveau chien ? demanda Kolia d’un ton indifférent.

— Ou-ii, dit Ilioucha, qui haletait.

— Il a le nez noir, il sera méchant », dit Kolia d’un ton grave, comme s’il s’agissait d’une chose très importante.

Il s’efforçait de dominer son émotion, pour ne pas pleurer comme un « gosse », mais il n’y arrivait pas.

« Une fois grand il faudra le mettre à la chaîne, j’en suis sûr.

— Il sera énorme ! s’exclama un des jeunes garçons.

— Bien sûr, un molosse, ça atteint la taille d’un veau.

— La taille d’un veau, d’un vrai veau, intervint le capitaine ; j’en ai cherché exprès un comme ça, le plus méchant qui soit, ses parents aussi sont énormes et féroces… Asseyez-vous, sur le lit d’Ilioucha ou bien sur le banc. Soyez le bienvenu, cher hôte, il y a longtemps qu’on vous attendait. Vous êtes venu avec Alexéi Fiodorovitch ? »

Krassotkine s’assit sur le lit, aux pieds d’Ilioucha. Il avait peut-être préparé en chemin une entrée en matière, mais maintenant il perdait le fil.

« Non… Je suis avec Carillon… J’ai un chien qui s’appelle comme ça, maintenant. Il attend là-bas… Je siffle et il accourt. Moi aussi j’ai un chien. »

Il se tourna vers Ilioucha : « Te souviens-tu de Scarabée, mon vieux ? » lui demanda-t-il à brûle-pourpoint.

Le petit visage d’Ilioucha se contracta. Il regarda Kolia avec douleur. Aliocha, qui se tenait près de la porte, fronça le sourcil, fit signe à la dérobée à Kolia de ne pas parler de Scarabée, mais celui-ci ne le remarqua pas ou ne voulut pas le remarquer.