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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/193

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philosophique, écrit pour démontrer une idée… » — Kolia s’embrouillait décidément. — « Je suis socialiste, Karamazov, socialiste incorrigible », déclara-t-il soudain de but en blanc.

Aliocha se mit à rire.

« Socialiste, mais quand avez-vous eu le temps de le devenir ? Vous n’avez que treize ans, je crois ? »

Kolia fut vexé.

« D’abord, je n’ai pas treize ans, mais quatorze dans quinze jours, dit-il impétueusement ; ensuite, je ne comprends pas du tout ce que vient faire mon âge ici. Il s’agit de mes convictions et non de mon âge, n’est-ce pas ?

— Quand vous serez plus grand, vous verrez quelle influence l’âge a sur les idées. Il m’a semblé aussi que cela ne venait pas de vous », répondit Aliocha sans s’émouvoir ; mais Kolia nerveux, l’interrompit.

« Permettez, vous êtes partisan de l’obéissance et du mysticisme. Convenez que le christianisme, par exemple, n’a servi qu’aux riches et aux grands pour maintenir la classe inférieure dans l’esclavage ?

— Ah ! je sais où vous avez lu cela ; on a dû vous endoctriner ! s’exclama Aliocha.

— Permettez, pourquoi aurais-je lu nécessairement cela ? Et personne ne m’a endoctriné. Je suis capable de juger moi-même… Et si vous le voulez, je ne suis pas adversaire du Christ. C’était une personnalité tout à fait humaine, et s’il avait vécu à notre époque, il se serait joint aux révolutionnaires. Peut-être aurait-il joué un rôle en vue… C’est même hors de doute.

— Mais, où avez-vous pêché tout cela ? Avec quel imbécile vous êtes-vous lié ? s’exclama Aliocha.

— On ne peut pas dissimuler la vérité. J’ai souvent l’occasion de causer avec M. Rakitine, mais… on prétend que le vieux Biélinski aussi a dit cela.

— Biélinski ? Je ne me souviens pas, il ne l’a écrit nulle part.

— S’il ne l’a pas écrit, il l’a dit, assure-t-on. Je l’ai entendu dire à un… d’ailleurs, qu’importe…

— Avez-vous lu Biélinski ?

— À vrai dire… non… je ne l’ai pas lu, sauf le passage sur Tatiana, vous savez, pourquoi elle ne part pas avec Oniéguine[1].

  1. Les études du grand critique Biélinski (1811-1848) sur Pouchkine et, en particulier, sur Eugène Oniéguine sont réputées. Tatiana est l’héroïne de ce célèbre poème.